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La répétition, inscrite au cœur même de l’attentat par sa double cible et  sa temporalité différée, fait écho à l’intense redondance visuelle qui se répand sur les écrans mais aussi – phénomène moins étudié – sur les premières pages des journaux. La sélection d’un petit nombre de photographies, parmi celles qui sont potentiellement disponibles est soumise selon Chéroux, d’une part à des critères formels, d’autre part à des questions de concentrations propriétaires et enfin, à des mécanismes de filtrage et d’autocensure qui auraient de fait réduit drastiquement la présence d’images des victimes. Ce qui intéresse l’auteur est la mise en évidence par  cet événement, qui a investi si lourdement la sphère médiale, des processus propres à la «globalisation dans le domaine des représentations photographiques» et d’une  tendance fatale à l’homogénéisation.

Si ce phénomène d’uniformisation porte essentiellement, pour Chéroux, sur le niveau figuratif de l’image et la récurrence des motifs et des configurations plus ou moins homogènes – nuages, explosions, drapeaux, etc… – Marco Dinoi, de son côté, en s’intéressant au  traitement audiovisuel de l’événement, ne se concentre pas exclusivement sur l’évidente uniformisation du motif des tours en flammes mais bien plutôt sur la  stratégie complexe d’atrophie perceptive à laquelle est soumis le spectateur, qu’il met en rapport avec une élaboration cognitive défaillante.

Contrairement à ce qui a pu être  soutenu par les prophètes d’une «virtualisation du réel», comme Baudrillard, la phrase «on dirait un film» renverrait donc précisément, avec son conditionnel, à la conscience d’un excès du réel par rapport à l’évocation d’un déjà-vu hollywoodien. C’est sur la base de cet écart que s’impose la nécessité d’une élaboration cognitive capable de déplier la distance entre ces images et le sens de l’événement auquel elles font signe, en restituant ainsi «la conscience implicite du hiatus entre un ‹imaginable› fictionnel et un ‹inimaginable› réel».
Le traitement télévisuel de l’évènement a cependant entrepris un parcours de fermeture progressive de ce hiatus en alimentant une modalité de diffusion des images qui a  atrophié toute possibilité d’élaboration.

Du point de vue de la perception, remarque Dinoi, on a alors assisté à la répétition d’une énonciation objectivante, d’une «image perçue comme si elle n’était prise d’aucun point de vue», constitutivement dépourvue, en somme, de tout hors champ et d’une mise en réseau avec d’autres images.

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