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Figée dans le temps, cette séquence cesse d’être une image de l’événement qui puisse être insérée dans une narration et un réseau visuel polysémique. Renforcée par les stéréotypes de la narration cinématographiques catastrophiste et par la façon qu’elle a de construire une altérité, cette mémoire-répétition participe alors à plein titre à une sorte de script cohérent avec le passage à l’action militaire, une conclusion que les deux auteurs partagent.

Pour Chéroux aussi cette question de la mémoire est décisive, non pas comme modèle ou dispositif (au contraire, suivant Pierre Nora, il s’oppose à toute superposition d’histoire et mémoire) mais plutôt comme une véritable mémoire visuelle inscrite dans des images qui semblent «répéter autre chose». Dans la deuxième partie du livre, il se concentre sur ces condensations mémorielles et s’interroge sur leur fonction à partir de la diffusion à l’échelle planétaire de cette photographie de Thomas Franklin montrant trois pompiers qui dressent un drapeau américain sur les ruines de Ground Zero.

La mémoire visuelle de cette  image, qui puise dans la célèbre photographie prise par Joe Rosenthal à Iwo Jima en 1945, ne peut pas être séparée de sa dimension performative. La réitération de schémas visuels correspond en effet à une réactivation valorielle et sémantique: «cette convocation de l’histoire n’est pas exempte d’évaluation. Elle est une première forme d’interprétation», souligne l’auteur, et elle permet l’insertion de l’événement de 2001 dans un horizon belliciste et dans un palimpseste narratif qui escompte un épilogue militaire semblable à celui de 1945. L’analyse «intericonique» des photographies, comme celle du décor des memorabilia kitch qui vont avec n’est pas dénuée d’intérêt: mais on peut se demander pourquoi, afin de décrire l’épaisseur mémorielle imbibé d’effets sémantiques et passionnels, l’auteur s’adresse à une supposé «double référentialité» de l’image – «la première est indicielle (Barthes), la seconde est iconologique (Panofsky)» – plutôt qu’au modèle tensif et pathémique d’Aby Warburg.

Les deux auteurs se rejoignent également dans la façon qu’ils ont de souligner – bien que de manière différente – comment une certaine forme de traitement médiatique est en mesure de changer le statut de l’image lui-même, en affaiblissant fatalement sa capacité de témoigner d’un réel qui l’excède. Dans Lo sguardo e l’evento l’auteur parle explicitement d’une «fuite de l’image» d’une diminutio de ses potentialités.

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