Cet événement a effectivement eu lieu, mais De Palma n’essaie pas d’en faire un documentaire ou même une narration au sens courant du terme et préfère présenter les narrations des protagonistes à travers des vidéos apparemment d’amateur. Il s’agit pourtant d’images produites par De Palma lui-même, qui nous conduit, grâce à cet escamotage, à la résolution de l’histoire : un procès contre les soldats qui ont perpétré le viol et la successive révocation du soldat qui avait été témoin du fait et avait pris la décision de dénoncer ses compagnons aux autorités militaires.
Le réalisateur prend comme point de départ le préjugé, pour ainsi dire, que toute image, à l’époque du contrôle politico-militaire des médias à cause de la guerre, peut être, en principe, manipulée. Le film semble partir effectivement du constat que toute réalité est redacted, à savoir soumise aux mécanismes de contrôle du réseau. Son but est donc de s’interroger à propos de la nature de ces mécanismes. Dans un film de nature complètement fictive et «fabriquée» il reproduit, en effet, plusieurs formes d’image documentaire: matériaux vidéo produits par un soldat d’un check point; le documentaire d’une émission de télévision française; et des reportages de journalistes embedded. Cette opération de dédoublement de l’appareil de mystification de la réalité montre toute sa force lorsque le récit filmique, qui se conclut avec une scène d’amour des plus stéréotypées entre un soldat rentré du front et sa femme, est confronté à des images documentaires de la guerre en Iraq, véritable «greffe intermédiale» dans la narration filmique. On s’aperçoit alors que le dispositif de fiction nous a montré l’impossibilité de faire l’expérience de la réalité qui nous entoure en déployant ainsi une réflexion sur tous les dispositifs de la vision qui se mettent en œuvre par les images que nous voyons.
Deux problématiques émergent alors et orientent le cheminement du texte: quelles sont les ressources de mémoire auxquelles les images renvoient pour rendre possible un tel travail de confrontation entre l’élément fictif et l’élément non-fictif dans la construction du référent? Et – problème qui est, de toute évidence, lié au premier – faudrait-il parler d’une véritable technique, plutôt que d’une faculté de l’imagination? Cette sorte d’archive médiale n’est pas une ressource neutre, disponible à tout usage. Elle se constitue au contraire d’une façon dynamique par rapport aux prestations que nous nous attendons des images: elle est essentiellement historique et vivante. Il apparaît clairement ici que l’auteur fait travailler le paradigme kantien, fondé sur une investigation des procédés de l’imagination transcendantale, avec l’idée d’une mémoire anachronique des images – tout récemment reprise, comme Montani nous le rappelle, par Georges Didi-Huberman – que Warburg a essayé de rendre visible à travers le projet de l’atlas Mnemosyne.