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Le travail de notre imagination est à la fois une élaboration de la mémoire et une production d’images inédites: les deux opérations sont au fond conjointes. Il est possible de percevoir et de comprendre ce double travail à condition de repérer des pratiques qui ne se laissent pas immobiliser par «l’indifférence référentielle» et «l’autoréférence» qui, selon Montani, informent désormais le monde de l’art. Comme on l’a déjà vu avec l’exemple De Palma, Montani pense que le cinéma peut créer les occasions d’une régénération de nos «prestations référentielles».

En analysant, par exemple, quelques séquences de Buongiorno, notte, le film de Marco Bellocchio sur l’affaire Moro en Italie, Montani nous montre que les images remontants à différents régimes de représentation (fiction, documentaire; plan narratif, plan historique) sont susceptibles, au niveau du montage, d’une reformulation du statut référentiel d’un événement historique.

À travers l’insertion des séquences télévisuelles d’archive – celles de gros plans de la nomenclature politique aux funérailles de Moro tué par les brigadistes – dans la fiction narrative, le réalisateur ne semble pas seulement vouloir illustrer l’état d’âme du personnage principal, mais aussi questionner le sens politique commun que nous partageons à l’occasion de certains événements historiques. Montani considère ce montage intermédiale comme une stratégie d’authentification de l’image, procédé qui relève d’une dette de témoignage.

Ainsi nous parvenons à la dernière thèse du livre. Le résultat de l’intéressante investigation de l’auteur nous conduit à une importante considération d’ordre politique. Les images médiales existent dans un réseau qui se constitue à la fois comme canal communicatif et comme archive: dans ce réseau il est toujours possible d’ouvrir l’espace d’un montage intermédiale, pensé en vue d’une régénération du sens des images à travers les travaux des différents médias et régimes représentatifs, et ainsi capable de faire signe au monde référentiel.

Mais cela signifie aussi que nous pouvons nous inscrire dans un réseau des montages d’images qui n’a pas de configuration close. Ces montages sont en principe ouverts à la possibilité que les autres utilisateurs du réseau puissent les remonter ou les enrichir avec d’autres images, en leur donnant de nouveaux sens, procédé qui repose précisément sur le caractère «réversible» (au sens de Merleau-Ponty) de l’image médiale. Montani retrouve cette notion de réseau ouvert dans la production du metteur en scène et théoricien russe Dziga Vertov (fig. 5). Dans son projet – entravé par la censure soviétique et presque totalement inaccompli – d’un Kinoglaz, l'investigation visuelle de la réalité achevée grâce à des moyens techniques, Vertov laissait entrevoir précisément la possibilité de créer un réseau de centres de production et circulation d’images.

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